Les Nouvelles Hébrides Note dactylo (auteur inconnu) à l'époque du Condominium. Les archipels mélanésiens sont demeurés très longtemps inconnus, leur existence était à peine soupçonnée. La tardive prospection de ces solitudes, ultime découverte maritime du Vieux Monde à ses antipodes, se conçoit. Ces découvertes insulaires furent un recommencement perpétuel tenant à l’incertitude des positions astronomiques - L’on cherchera durant deux siècles les Hébrides comme les Salomon – Les latitudes se déterminaient assez exactement avec l’octant de Halley ; mais, pour les longitudes, on commettait, au XVIè siècle, des erreurs de 30°, soit trois mille kilomètres environ. La méthode de Galilée par les satellites de Jupiter et celle de distances lunaires de Wallis réduisirent l’erreur possible à 2 ou 3 degrés. Mais le problème des longitudes ne fut résolu que vers 1764 par Berthoud et Le Roy dont les montres conservaient un isochronisme parfait. La détermination de la longitude fut fondée sur la comparaison de l’heure locale avec celle d’un méridien d’origine connue par un chronomètre invariable. La Pérouse fut le premier à se servir régulièrement de ces montres et, grâce enfin à l’arrêt de la «fluctuation des îles océaniennes», il fut possible d’avoir une connaissance précise de l’Archipel mélanésien.
En 1768, Bougainville passe au Sud-Ouest de l’île découverte par Queiros et navigue entre Santo et Mallicolo. Le détroit porte encore son nom - il découvre également Pentecôte, Aoba et Maéwo ou Aurore et donne à l’Archipel le nom de Nouvelles Cyclades.
Le grand inventeur des Nouvelles Hébrides sera cependant, six ans plus tard, James Cook, le rassembleur des Terres Océaniennes. Observateur minutieux et méthodique, il n’explore pas au hasard et fouille l’Océan d’une manière systématique. Où il est passé, il ne reste plus qu’à compléter, car il relève méticuleusement chaque terre : sa carte des Nouvelles Hébrides de 1774 nous étonne par son extraordinaire exactitude. Les mérites n’en étaient pas minces : «L’aventure» et la «Résolution» étaient des vaisseaux de 336 et 462 tonneaux, à la merci des courants de dérive devant les récifs coralliens bordés de fonds ne permettant aucun ancrage. Cette appréhension des récifs « au vent » de l’Archipel se marque par les seules lacunes des relevés cartographiques en ce qui concerne les rivages exposés à la violente mousson du Sud-Est. Il relâche quinze jours à Tanna dans Port Résolution qui était alors un havre très abrité avant que le tremblement de terre de 1878 ne vînt surélever le fond de cette rade de plusieurs mètres, la rendant inutilisable aux navires de moyen tonnage.
La Pérouse partit de France en 1785 avec la «Boussole» et l’«Astrolabe», relâcha vraisemblablement dans l’Archipel où l’on crut longtemps qu’il avait disparu. D’Entrecasteaux, envoyé à sa recherche en 1791 avec la « Recherche » et l’«Espérance» effectua de fructueuses prospections en Mélanésie, en association avec le naturaliste La Billardière et l’hydrographe Beautemps-Beaupré. Mais le mystère de la disparition des vaisseaux de La Pérouse restait entier. Ce fut seulement en 1828 que Dumont d’Urville put établir , après un périple aux nouvelles Hébrides, que La Pérouse avait péri avec ses compagnons à Vanikoro, dans l’Archipel de Santa Cruz, ainsi que venait de l’apprendre Peter Dillon.
INCERTITUDES Trois siècles avaient été nécessaires pour explorer le Pacifique. Mais en un seul, les zones d’influence des diverses nations allaient se préciser. Rivalité confessionnelle des missions protestantes et catholiques, rivalité coloniale des puissances maritimes vont s’affronter de 1830 à la fin du siècle. Les Nouvelles Hébrides restent à l’écart de ces compétitions. Cependant, dès 1853, l’Amiral Febvrier Despointes marquait l’établissement de la France en «Nouvelle Calédonie et Dépendances» - aucun colon français n’était encore établi aux Hébrides.
Les Anglais s’établissent de leur côté aux Fidji en 1874, mais entre temps, de nombreux squatters s’étaient établis dans l’Archipel Néo-Hébridais et avaient suggéré la réunion de l’Archipel aux Territoires Calédoniens. Les ministres presbytériens d’Australie installés dans le groupe sud, notamment à Tanna, s’élevèrent contre ce projet.
La France, en 1878, déclarait à Londres son désintéressement devant cette situation. Londres donnait des assurances identiques à Paris. Cette abstention des deux Puissances directrices de cette zone du Pacifique n’était pas sans présenter de très graves inconvénients. L’histoire des îles durant le XIXè siècle sera tristement marquée par les agissements criminels d’une foule d’aventuriers et de proscrits relâchant dans ces îles : Baleiniers, coupeurs de santal, déserteurs de navires qui chercheront un abri momentané sur ces îles, échappant à tout contrôle. Des recruteurs du Queensland viendront sur ce «no man’s land» effectuer des rafles de travailleurs pour les plantations de canne à sucre. Les premiers colons qui se fixèrent furent des coprah-makers d’origine britannique vivant du commerce du coprah et travaillant en association avec les navires recruteurs.
Missions catholiques et protestantes essaient de lutter contre les abus des «black-birders» exploitant ces populations primitives et désarmées. Bien qu’agissant en isolés, leur œuvre courageuse sera efficiente et amènera l’opinion publique australienne et calédonienne à se préoccuper de l’Archipel en déshérence. Les missions presbytériennes se sont établies à Lénakel à Tanna dès 1858, à Port Vila , Nguna, Tongoa et Mallicolo (Baie du Sud Ouest), en 1872. Les pères maristes français ne fondent leurs premières missions qu’en 1887 à Mélé , près de Port-Vila, Mallicolo (Port-Sandwich) et Santo (Port-Olry).
Une véritable colonisation européenne se dessine, notamment à Vaté où les colons calédoniens et bourboniens créent deux noyaux d’exploitation à Vila et dans la plaine de Mélé. Leurs débuts sont courageux et difficiles : l’essentiel de leur subsistance consiste en récoltes de maïs en attendant la mise en rapport des caféeries et cocoteraies. Dominant en 1882, la Compagnie Calédonienne des Nouvelles Hébrides achète des terres et aide de nombreux colons à s’installer. Mais ces situations privées sont rendues des plus incertaines par l’organisation politique et administrative: les colons français ne relèvent d‘aucun gouvernement, n’ont aucune garantie pour leur propriété, ne peuvent faire établir légalement leur état-civil, et en France, sont traités comme des étrangers et doivent acquitter le tarif maximum douanier pour l’admission de leurs exportations. Des commerçants Allemands des Samoa entrent en compétition, à la fin du siècle, avec les traders britanniques de l’Archipel. Il semble bien que l’on soit au seuil d’un règlement définitif du statut politique des Nouvelles Hébrides, vers 1885.
NAISSANCE DU CONDOMINIUM En réalité, une exceptionnelle conjonction de faits va maintenir durant de longues années une situation de compromis. En nouvelle Guinée, les puissances en présence viennent d’aboutir à un partage d’influence. Aux Samoa, Allemagne, Angleterre et Etats-Unis tâcheront, pendant vingt ans, de se mettre d’accord pour collaborer sous forme d’un Condominium établi en 1879. Mais, en 1899, l’Allemagne désintéresse l’Angleterre par des concessions aux Salomon et acquiert Savaii et Upolu ; Tutuila demeure aux Etats-Unis ; le Condominium, forme politique d’un maniement très délicat, a abouti à un partage. Le 16 novembre 1887, la Grande Bretagne et la France signent à Paris une convention relative aux Nouvelles Hébrides et aux Iles Sous le Vent de Tahiti.
L’intérêt que la France porte à ces groupes d’îles polynésiennes, objet de discussions fort âpres depuis l’affaire Pritchard et la « Convention de Jarnac » de 1847, va leur subordonner les positions françaises aux Hébrides. La convention de 1887 pare au plus pressé : elle organise un pis-aller, un pouvoir commun de police, en l’espèce une Commission Navale Franco-Anglaise. Une déclaration du 26 janvier 1888 met au point la Convention élaborée l’année précédente.
La Commission Navale est chargée de la protection des vies et propriétés des sujets des deux nations. Elle se compose de deux officiers de marine français et de deux officiers britanniques appartenant aux navires de guerre relâchant dans les eaux de l’Archipel et présidée alternativement par les commandants français et anglais. Lente et défectueuse, dépendant de querelles de personnes, l’action administrative de cette Commission Navale fut pratiquement nulle. Cependant, sur le plan de la traite des «black-birders», elle amena un ralentissement de ces trafics criminels en les rendant onéreux et dangereux. Par contre, elle n’amena l’instauration pour les colons sédentaires d’aucune loi civile, d’aucun tribunal. Devant cette carence, les planteurs et défricheurs se réunissent en comité et essaient de créer un minimum d’organisme social - Ils instituent une «cour d’arbitrage» en 1895 - mais la Commission Navale Mixte se prononce contre elle et l’oblige à se dissoudre. La possibilité est donnée aux nationaux français et anglais de faire appel à leurs tribunaux respectifs en Calédonie et aux Fidji, mais cette possibilité laisse insolubles les conflits multiples survenant entre Français et Anglais et entre ceux-ci et les tribus indigènes. La confusion est telle que France et Angleterre décident enfin d’y mettre fin par un règlement diplomatique.
Dès 1890, le Gouverneur des Fidji avait été nommé Haut Commissaire du Pacifique Occidental ayant autorité sur ses nationaux de l’Archipel Hébridais. Mais la prépondérance française, au seuil du règlement, est devenue incontestable : au 9 mars 1905, il y a 405 Français et 228 Anglais ; la Société des Nouvelles Hébrides, héritière de la Compagnie Calédonienne, possédait 780.000 hectares sur les 1.067.310 théoriquement occupés par les Européens.
La Convention de Londres du 20 octobre 1906 met fin aux controverses diplomatiques et institue le Condominium Franco-Britannique des Nouvelles Hébrides. Ce nouveau régime entre en vigueur le 2 décembre 1907. Il sera modifié ultérieurement par le Protocole Franco-Anglais du 6 août 1914 - ratifié en mars 1922 - qui régit toujours l’organisation politique, administrative, judiciaire et foncière de l’Archipel. Les commissaires-Résidents Français et anglais siégeant à Port-Vila sont subordonnés aux Hauts-Commissaires de France et de Sa Majesté Britannique résidant à Nouméa et à Suva. L’institution essentielle du Tribunal mixte règle les problèmes juridictionnels de conflits de lois et compétences. Le Juge-Président neutre sera désigné par le roi d’Espagne, en hommage au souvenir de Queiros, découvreur de l’Archipel.
Le Condominium ne fut pas ébranlé par la guerre mondiale de 1914-1918 qui n’eut aucune répercussion militaire dans l’Archipel. L’annonce de la déclaration de guerre mit près de 3 mois à atteindre les Colons isolés dans les îles dépourvues de liaisons télégraphiques. Il ne fut nécessaire de procéder à des restrictions et réglementations d’exception d’aucune sorte.
Il n’en fut pas de même pendant la seconde guerre mondiale de 1939 à 1945 : les menaces que firent peser les Japonais sur l’Archipel, le passage des troupes américaines, la désorganisation des moyens de communication, la raréfaction des denrées alimentaires amenèrent à prendre de nombreuses Réglementations Conjointes de Défense pour permettre aux Nouvelles Hébrides de s’adapter à une économie de guerre. Les Nouvelles Hébrides constituèrent une base essentielle pour la préparation et la progression des troupes alliées dans le Pacifique Sud. Vaté et Santo devinrent des garnisons extrêmement importantes (plus de 200.000 hommes), du fait de leur situation géographique et des importants approvisionnements et installations qui y furent constitués. Santo fut la base d’arrêt d’où l’Etat-Major américain soutint Guadalcanal au cours de plusieurs semaines de luttes épiques et décisives. Des aérodromes considérables furent créés très rapidement pour permettre l’envol des escadres aériennes durant de longs combats aux Salomon. Les Nouvelles Hébrides y gagnèrent une infrastructure aérienne et un réseau routier bien supérieurs à leurs besoins actuels. Exceptées quelques bombes jetées sur Santo, l’Archipel n’eut pas à souffrir d’actions ennemies. Un événement marquant de cette période fut le ralliement de l’Administration Française des Nouvelles Hébrides au Général de Gaulle en 1940.
V – LES HABITANTS LA RACE Le terme de «canaque» dont se servent les Européens pour désigner l’habitant des Nouvelles Hébrides et celui des groupes de la Mélanésie : Nouvelle Calédonie, Loyauté et Salomons, ne signifie pas grand’chose. Les indigènes ignorent cette appellation qui dérive d’un mot hawaïen «kanaka», signifiant homme en polynésien. Pour distinguer dans l’Archipel les habitants des différentes îles, on se sert du bichelamar, sorte d’espéranto néo-hébridais fortement teinté de «pidgin english», du nom de l’île dont ils sont originaires, précédé du mot «man». On dit un man-Santo , un man-Ambrym, un man-Epi , etc. Les Néo-Hébridais, au nombre de 45.000 environ, appartiennent en majeure partie à la race mélanésienne, confinée dans l’Ouest du Pacifique austral où elle occupe les Nouvelles Hébrides et archipels voisins, remontant jusqu’en Nouvelle Guinée. Les Mélanésiens, les noirs du Pacifique, diffèrent de leurs congénères africains. Ils sont moins foncés, bien que l’on en rencontre de très noirs. Ils ont souvent le nez droit ou arqué, les lèvres assez minces, tandis que leurs cheveux, beaucoup plus fournis, sont plus laineux que crépus. Les cheveux sont parfois lisses chez les enfants, ne devenant laineux qu’avec l’âge. Le système pileux des canaques est très développé et la plupart des véritables bushman portent la barbe.
Il est difficile de définir le type néo-hébridais, car ces insulaires offrent des différences marquées, d’une île à l’autre, mais aussi à l’intérieur d’un village. Taille et couleur sont très variables. Les uns ont un corps malingre et étrangement velu, soutenu par des jambes courtes et grêles. D’autres frappent par leur corps vigoureux et musclé. A Tanna, Epi, Erromango, Mallicolo, le premier type paraît dominer, tandis que l’on trouve une plus forte proportion de beaux hommes à Paama, Ambrym, Aoba et chez les Sakao de Santo. Malgré cette diversité, les habitants d’une même île ont souvent un air de famille. Les différences ethniques qui se manifestent parmi les indigènes tiennent à des influences étrangères, les unes papoues, les autres polynésiennes, les premières se traduisent par un nez arqué et des lèvres minces à Tanna, Ambrym et Mallicolo. Il n’y a nulle part de véritables Polynésiens, mais les caractéristiques ethniques de cette race se retrouvent en différents endroits : une teinte plus claire, yeux en amande, nez assez gros, cheveux plus lisses et tendance à une assez forte corpulence très exceptionnelles chez les purs Mélanésiens. Cette dernière particularité est frappante chez beaucoup de femmes de Mélé dont l’ascendance polynésienne, confirmée par la langue parlée sur cet îlot, est indiscutable.
Il faut écarter, sans doute, l’hypothèse de véritables migrations polynésiennes vers les Nouvelles Hébrides et il est probable que, dans la plupart des cas, la venue de ces étrangers a été fortuite. En diverses occasions, au XIXè siècle, des pirogues polynésiennes déportées par le vent, abordèrent accidentellement aux Nouvelles Hébrides. Il en est venu des Samoa, des Wallis, de Rotuma et de Tonga, qui abordèrent sur Vaté, Erromango, Aniwa, Aneytium. Les arrivants furent assez mal reçus et même massacrés, ils furent admis dans d’autres cas et purent s’établir dans le groupe où ils finirent par se métisser. L’élément polynésien est marqué dans le Sud d’Aneytium, et à Vaté. Dans le Nord, l’apport polynésien est manifeste à Aoba, Maewo, et dans la partie septentrionale de Pentecôte, de même qu’aux Torrès et aux Banks. Les insulaires des Banks diffèrent entre eux d’une île à l’autre, mais comme le fait observer F. Speiser, ethnologue suisse, il existe un type des Banks, assez clair, avec un nez droit, une barbe très fournie. F. Speiser remarque que, dans l’Archipel, le mélange des deux types n’est jamais très intime. Deux types coexistent presque partout, l’un franchement mélanésien, l’autre à affinités polynésiennes. Ce fait est frappant à Aoba et sur de petites îles telles qu’Erakor, Aniwa et Futuna.
Les îles les plus franchement mélanésiennes sont Tanna, Tongoa, Epi, Mallicolo, Paama, Ambrym, le Sud de Pentecôte et de Santo. Les Sakao, qui occupent le Nord-Est de cette dernière, grands, élancés et foncés, aux traits fins, se distinguent au point de vue physique, culturel et linguistique des autres groupements néo-hébridais et leur civilisation est la plus primitive de tout l’archipel. Santo abrite, d’autre part, des indigènes de très petite taille, dans lesquels on s’est vite plu à voir un élément négrito distinct de la race mélanésienne.
Entre eux, les indigènes établissent une distinction, suivant qu’ils habitent le littoral ou qu’ils vivent à l’intérieur. L’expression bichelamar de «Men Salt Water» (hommes de la mer) – qui n’implique aucunement que ceux-ci soient marins– désigne ceux vivant en bordure de côte. L’appellation de «Bushman» (homme de la brousse) s’applique aux gens de l’intérieur. Cette division n’est nullement d’ordre ethnique. Les gens du littoral, plus évolués, quand ils se servent du terme de «Bushman» pour parler de leurs voisins, lui accordent généralement un sens péjoratif. Les Chrétiens qualifient également les païens de l’intérieur de «Men blong darkness». Ces deux sortes de populations se mêlent peu et il en a toujours été ainsi. Un état d’hostilité, se manifestant par des guérillas interminables, opposant les villages du littoral à ceux de l’intérieur, a longtemps existé sur la plupart des îles. De telles rivalités surgissant même sur de petites îles, comme Nguna, où jadis les habitants de la montagne obligèrent les gens de la côte à s’enfuir dans leurs pirogues. Ceux-ci, dit-on, cherchèrent refuge plus au Nord, abordant les uns à Emaé, les autres dans le Sud d’Epi où ils fondèrent des villages auxquels ils donnèrent le nom de ceux qu’ils avaient dû quitter.
POPULATION «INDIGÈNE» : Il est difficile de discerner le mouvement de la population indigène entre 1949 et 1951, étant donné le caractère approximatif des chiffres donnés. Néanmoins, il est à peu près certain que celle-ci n’a pas sensiblement changé entre ces deux dates. Le chiffre total de 45.000 donné habituellement correspond à une évaluation tenant compte du fait que le dernier recensement n’a pas pu atteindre certains villages isolés. Il semble que la population croisse légèrement. La répartition de la population indigène est également restée la même, les grandes îles étant les moins peuplées. Les petits îlots qui les bordent continuent à voir les plus fortes densités, bien qu’ils aient perdu leur caractère d’îles – refuge. Rien ne permet de penser que la disproportion existant entre le nombre de femmes et d’hommes, en faveur des seconds, ait été inversée. Au contraire, elle semble s’accuser davantage. On compte actuellement environ, chez les enfants, 54 garçons pour 46 filles.
VILLAGES – VIE SOCIALE ET FAMILIALE Les Néo-Hébridais ont, comme toutes les sociétés mélanésiennes, une organisation sociale et un système de parenté très complexe. Ils n’ont jamais fait partie d’un état soumis à l’autorité d’un chef unique. Il s’agit d'une multitude de petites sociétés indigènes indépendantes que l’on ne saurait assimiler à de véritables tribus. Un groupe de plusieurs familles forme un village dont les maisons sont très groupées en certains endroits, à Mallicolo et Ambrym, par exemple, plus espacées en d’autres endroits.
Ce qui caractérise le village, c’est la place publique et la grande case commune : «Hamal» ou «Gamali». C’est là que les étrangers reçoivent l’hospitalité, là que se réunissent les hommes du village pour causer et s’entretenir des intérêts communs. C’est là que couchent les jeunes gens. Plusieurs villages de même langue sont groupés et ont entre eux des relations plus étroites. Cependant, ce groupement ne constitue pas à proprement parler une tribu. A la différence de la Nouvelle Calédonie, il n’y a guère de chef au sens civil ou politique du mot, à l’exception de certains districts comme les Banks, et pas de chef ayant sur les terres propriété ou haut domaine ; chacun est maître de son avoir foncier, compte tenu cependant d’un régime partiel de tenures collectives. Dans la mesure où l’on entend parler de «chefs», il s’agit de chefferie ayant un caractère plutôt religieux : elle est acquise par des sacrifices faits pour les âmes des ancêtres et, en principe, est accessible à tout membre de la tribu.
L’organisation familiale fort compliquée, est peu connue. Les canaques disposent d’une foule de termes pour désigner les différents liens de parenté qui les réunissent et pour établir entre proches parents des distinctions qui nous sont absolument inconnues. Le caractère dominant de l’organisation familiale est la division en groupes exogames avec la descendance matrilinéaire. Parfois, au lieu de deux divisions ou fratries, on en rencontre en plus grand nombre mais qui se combinent toujours de façon à se ramener à deux pour les mariages. Ce système de clans impose donc une restriction pour le choix des épouses, puisque toute une moitié se trouve exclue et que l’homme n’a à sa disposition que le clan opposé. Le mariage n’est qu’un marché où la femme n’est jamais acheteuse : ce sont les parents qui traitent : le fiancé verse le prix de la dot à la famille de la femme et la transaction se règle ordinairement au moyen de cochons à dents recourbées, animaux qui représentent une grande valeur (le prix d’un jeune femme varie de deux à six cochons à dents). Il n’y a rien de dégradant dans cet échange quand on voit le culte dont sont entourés ces animaux élevés méticuleusement et à grands frais durant des années, après enlèvement des canines de la mâchoire supérieure, permettant aux canines inférieures de se développer et d’atteindre, en s’enroulant , des dimensions extraordinaires.
CIVILISATION MATERIELLE Contrairement au préjugé courant qui veut voir dans la population hébridaise une des plus primitives de la planète et une survivance attardée de l’âge de la Pierre Taillée, il s’agit, en fait, des représentants d’une civilisation océanienne originale parvenue au stade le plus avancé de la Pierre Polie. Comme tous les Océaniens, les Néo-Hébridais ont ignoré l’art de préparer les métaux et, jusqu’à une époque toute récente, ils ne se servaient que d’outils de pierre et de coquillage. Bien que ne les utilisant plus, ils ont encore en leur possession quantité de pierres de hache, d’une facture néolithique, façonnées et polies avec soin. Les seules armes de pierre qui aient été employées jadis sont les pierres de jet de facture paléolithique de Tanna, en andésite massive.
L’abandon de ces instruments primitifs que supplantèrent progressivement ceux de fer introduits par les Européens s’est produit seulement à la fin du siècle dernier. On peut retrouver quelques outils anciens emmanchés, herminettes pourvues d’une lame de tridance, employées pour façonner des poteaux de case, sculpter des statues ou creuser des pirogues. Cette lame de tridance consiste en un découpage de la nacre épaisse du bénitier, bivalve gigantesque. C’est son nom «talahe» qui est donné actuellement à la hache européenne. Pour désigner le fer, le canaque parle du «talahe-qui-flotte»… ces madriers de lointaines épaves occidentales venues échouer sur leurs plages. L’on trouve nombre de gravures rupestres de facture récente sur des roches ou dans des grottes.
Les canaques connaissent de nombreuses plantes textiles, Ils en cultivent certaines, tandis que les autres poussent à l’état sauvage. Des fibres végétales sont obtenues de la feuille de pandanus, du tronc de bananier, de la tige de l’herbe à balai, de l’écorce de bourao et de celle du banian, ainsi que de différentes lianes. La feuille du cocotier et l’enveloppe fibreuse de la noix de coco sont très utilisées. L’art de la vannerie est très répandu, sauf aux Banks, ce sont les femmes qui le pratiquent. Il atteint un grand degré de perfection à Aoba et à Pentecôte. La poterie n’est pratiquée aujourd’hui que sur la côte Ouest de Santo. La flore et la faune fournissent d’ailleurs tous les ustensiles de cuisine indispensables (plateaux de pierre, de bois, râpes, pilons) et il est très peu fait appel à la quincaillerie européenne, comme on eût pu s’y attendre. Même après le passage des troupes américaines, la touque à pétrole est, somme toute, le seul emprunt notable fait à la civilisation mécanique pour la vie domestique courante. La richesse des ressources naturelles des îles limite singulièrement les besoins externes de ces sociétés primitives qui peuvent aisément vivre encore en économie fermée.